Histoire quantitative ou histoire formalisée ?

Un réjouissant article de Charles Tilly



À propos de Charles Tilly, « Observations of Social Processes and Their Formal Representations », Sociological Theory, 22-4, décembre 2004, p. 595-602. Une version complète (sauf la mise en page) est librement accessible ici.

Pourquoi cet article est-il si réjouissant ? D’une part, il propose une bibliographie costaude (deux pages et demie sur huit...), qui balaye une grande variété de textes théoriques ou méthodologiques, mais surtout d’application de méthodes quantitatives ou formelles, en sciences sociales mais en réalité principalement en histoire. Il renvoie en particulier à un numéro spécial de Theory and Society dirigé en 1997 par J. W. Mohr et R. Franzosi, « Special Double Issue on New Directions in Formalization and Historical Analysis », que l’on ne saurait trop souvent recommander. Ce numéro est un bon exemple du propos de Tilly : il contient très peu de chiffres, mais il propose des tentatives originales et variées pour « formaliser » le traitement de données historiques, et aussi la narration historique elle-même.

D’autre part, Tilly défend tout à fait la même vision que nous à propos des méthodes quantitatives et de leur utilité en histoire (même si, évidemment, c’est nous qui défendons la même vision que lui...), tout en ajoutant une précision importante avec sa distinction entre quantitatif et formel. Il souligne en particulier que ce n’est pas le matériau (historique ou non) qui est en lui-même quantitatif, quantifiable, formel ou formalisable, mais que ce dont on parle, c’est de choix dans la démarche d’étude. Et aussi que les querelles et les divisions entre quantitatif et qualitatif reposent souvent sur de simples « styles d’évocation des résultats », alors que l’essentiel, c’est de savoir si on a utilisé un formalisme (i. e. finalement toute méthode rigoureuse...) pour aboutir à ces résultats, pas de savoir si on les montre dans un tableau, une carte ou une phrase...

Quelques citations traduites à la volée vaudront mieux qu’une longue paraphrase, et n’hésitez pas à aller voir l’original pour mieux comprendre de quoi Tilly parle quand il parle de « formalismes » !

Sur les limites de l’opposition qualitatif-quantitatif :

Même quand à la fin, on produit des nombres, l’essentiel de la recherche en sciences sociales consiste à faire des observations non quantitatives avant toute forme de transformation ou d’analyse quantitative.
Caractériser la recherche historique comme fondamentalement interprétative, donc inaccessible aux formalismes, repose sur deux malentendus : l’identification de la totalité de la recherche historique avec la recherche d’informations en archives, et celle de la totalité de l’analyse historique avec l’écriture de narrations. C’est entre ces deux étapes que les formalismes jouent un rôle.

Sur l’intérêt des « formalismes » :

Quand ils sont bien choisis, ils disciplinent l’enquête dès le début ; et ils facilitent la découverte du fait qu’une formulation par ailleurs plausible est en réalité inadaptée.
Tout pratiquant des sciences sociales peut bénéficier d’une exposition aux formalismes, même s’ils ne jouent en pratique qu’un rôle mineur dans ses pratiques de recherche et d’écriture.
Au minimum, ils permettent de distinguer entre des représentations d’un professus social tout à fait inadéquates et d’autres moins inadaptées.